Pascal Charpentier

Une rencontre dans nos bureaux d’IAVM,  il y a deux semaines, m’a beaucoup fait réfléchir. Un gestionnaire senior reconnu du grand public est venu nous vanter les mérites de sa gestion momentum. Après avoir patiemment écouté sa présentation, je lui ai posé quelques questions sur sa sélection de titres qui semblait basée uniquement sur le momentum des cours boursiers. « Avec ce genre de mécanique, lui dis-je, vous pourriez vous retrouver avec des actions de Facebook dans votre portefeuille… »

-Mais nous en avons! me répond-il.

Avec toute l’information financière accessible aujourd’hui et les succès financiers des plus grands gestionnaires comme Buffet ou Templeton, comment est-ce possible que si peu de gestionnaires n’utilisent leurs méthodes d’investissement basées sur le modèle entrepreneurial? Selon Georges Athanassakos, de la Richard Ivey School of Business, malgré tout ce que l’on peut dire sur l’investissement valeur, il n’est pas assez reconnu et n’est même pas enseigné dans les universités! On y enseigne plutôt la théorie moderne de portefeuille selon laquelle le marché serait efficient, c’est-à-dire que le prix des actions serait le reflet de toute l’information accessible sur chacune des compagnies à tout moment. Quelle surprise de constater que Benjamin Graham ne fait pas nécessairement partie des programmes universitaires en finance! Inévitablement, trop peu d’investisseurs professionnels accordent aux valeurs fondamentales la place qu’elles méritent. C’est-à-dire en autre,  d’évaluer sur plusieurs années l’évolution des flux de trésorerie et des profits d’une compagnie en examinant aussi ses actifs tangible tout cela dans le but  d’en avoir le plus possible par rapport au prix payé pour une action.  Le but est de payer le moins cher possible les profits générés.

On pourrait comprendre les investisseurs de se désintéresser de cette approche si ses performances étaient moins bonnes. Mais ce n’est pas le cas puisqu’elles sont meilleures! En effet, l’approche valeur surperforme l’approche croissance sur une longue période de temps, et cela est encore plus vrai lorsque les marchés performent moins bien. Cela déboulonne la théorie des marchés qui conçoit que le rendement obtenu est directement relié au risque. En fait, l’approche valeur, en optant pour des titres qui en offrent plus pour notre argent, offre une marge de sécurité supplémentaire à l’approche croissance, ce qui diminue le risque. Alors pourquoi, si le risque est moindre et les rendements meilleurs, n’est-elle pas utilisée par la majorité? Selon Monsieur Athanassakos, les gestionnaires valeurs auraient tendance à investir dans un nombre limité de compagnies et cette concentration aurait pour effet que ses portefeuilles ne se comporteraient pas vraiment comme les indices, ce qui fait que parfois, les marchés peuvent monter et les portefeuilles valeur, ne rien produire. Quelques mois de sous-performance peuvent devenir insoutenables pour des clients qui voient leurs investissements faire du surplace alors que les marchés montent. Cette pression de la performance fait que la plupart des gestionnaires veulent se tenir près des indices. Même s’ils vantent la théorie valeur, en pratique ils font une gestion davantage indicielle. Comme Templeton le dit, il est impossible de produire un rendement supérieur, à moins de faire les choses différemment de la majorité, et c’est précisément ce que les gestionnaires valeur font. Selon Athanassakos, les gestionnaires ne manquent pas de talent pour sélectionner de bons titres, mais ils sont forcés par leurs institutions à surdiversifier afin de protéger la réputation de la firme et les actifs qu’elle gère.

Comme je l’ai mentionné dans un précédant texte, pour la première fois depuis la 2ème guerre mondiale, l’approche croissance a supplanté 5 années de suite l’approche valeur. À ce sujet, plusieurs articles ont soulevé le fait que le gestionnaire valeur Warren Buffet avait moins bien fait que l’indice Standard & Poor’s au cours des 5 dernières années. Plusieurs sont même allés jusqu’à dire que Warren Buffet avait perdu sa touche magique. Pour vous donner le ton, un article du Globe And Mail du 25 avril dernier s’intitulait « Why I broke up with Warren Buffet ». Dans cet article comme dans bien d’autres, on reproche à la légende d’Omaha de ne plus être capable de battre l’indice, mettant en cause la taille de sa compagnie. Cela complique sûrement certaines décisions de Warren Buffet, mais ne l’empêche sûrement pas de prendre de bonnes décisions d’investissement. Berkshire Hathaway gère 300 milliards en équité sur lesquels 116 milliards sont constitués d’actions publiques. Pour vous donner une référence, la société d’investissement Blackrock gère près de 3 500 milliards d’actifs…  Donc la taille de Berkshire n’est pas encore un problème majeur comme plusieurs semble s’en inquiéter.

Lorsque le marché actualisera la valeur intrinsèque des titres valeurs, processus déjà amorcé, vous risquez de revoir le nom de Buffet en haut de la liste des meilleurs gestionnaires, comme c’est le cas depuis les 5 dernières décennies. Vous avez accès au meilleur professeur en finance qui soit, et ce qui est le plus merveilleux, c’est qu’il est possible de s’en inspirer. Il y a tellement d’information disponible sur lui ou sur d’autres gestionnaires valeur émérites; il faut simplement avoir la curiosité d’aller la chercher!

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