Avoir le courage de faire des choix à contre-courant du marché, voire de s’en retirer temporairement, pourrait préserver votre épargne de l’éclatement imminent possible de la bulle boursière actuelle. C’est ce que met de l’avant le grand financier Jeremy Grantham dans son dernier article extrêmement percutant, dont nous vous faisons ici un résumé en français. (“Waiting for the Last Dance: The Hazards of Asset Allocation in a Late-stage Major Bubble”, Jeremy Grantham Viewpoints, GMO, 5 janvier 2021)
De plus en plus d’experts de la finance osent énoncer publiquement leur mise en garde face aux dangers inhérents au contexte financier actuel, que l’on peut d’ores et déjà qualifier de bulle boursière. Parmi eux, Jeremy Grantham, historien des marchés, stratégiste en chef des investissements et co-fondateur de GMO en 1977, nous livre un billet percutant qui pourrait changer l’avenir de plusieurs investisseurs. À l’instar de plusieurs grandes figures de la finance, Grantham a mené une longue carrière dans l’univers de l’investissement (plus de 50 ans), conférant à son évaluation des marchés boursiers une sagesse indéniable, d’autant plus qu’il est de ces rares gestionnaires professionnels à être sortis gagnants des dernières bulles boursières de 2008, de 2000 et de 1987.
Dans son billet du 5 janvier dernier, Grantham définit d’emblée et sans nuance la situation actuelle comme une bulle épique en phase terminale, qui pourrait par le fait même se révéler être, pour la majorité des investisseurs d’aujourd’hui, « l’événement le plus important de leur vie d’investisseurs »[1]. Pourquoi? Eh bien simplement parce qu’historiquement parlant, « ce sont lors des grandes bulles que les fortunes se font et se perdent, et que les investisseurs mettent vraiment leur courage à l’épreuve ». En effet, se positionner pour éviter les effets collatéraux d’un éclatement de bulle est la chose la plus difficile à faire. Pour reprendre les mots du financier, « c’est à la fois excitant et terrifiant ».
Après avoir analysé les caractéristiques des plus grandes bulles de l’histoire de la bourse des 100 dernières années (et après avoir traversé professionnellement plusieurs d’entre elles…), Grantham en est arrivé à déceler plusieurs éléments reconnaissables qui indiquent le dernier souffle de la bulle, éléments pouvant tous être observés en ce moment dans le milieu. En voici quelques-uns :
- La majorité des actifs sont très fortement évalués (les ratios cours/bénéfice plus élevés que jamais)
- Les prix explosent, et ce, à une vitesse exponentielle (150 grandes capitalisations ont triplé cette année)
- Les nouvelles émissions d’actions se multiplient (480 IPO en 2020, plus encore qu’en 2000!)
- Le nombre d’investisseurs individuels augmente significativement, parallèlement à la monté d’un enthousiasme quasi fanatique pour le placement en général.
- Le comportement des investisseurs devient de plus en plus spéculatif (Hertz, Kodak, Nikola, Tesla…)
- Les investisseurs deviennent plus avides de gains, hostiles envers les mises en garde
Un aspect commun est qu’«au moment où une bulle éclate, tout le monde est toujours convaincu qu’elle est encore loin d’éclater…», explique Grantham. En d’autres mots, on prend pour acquis la situation gagnante et on ferme les yeux sur l’éventualité d’un changement vers une situation perdante. À titre d’exemple, le financier d’expérience cite l’ancien président de la FED, Alan Greenspan, qui avait prédit juste avant l’éclatement de la bulle en 2000 une « amélioration durable de la productivité et s’était engagé à supporter les marchés financiers ». Son successeur, Bernanke, affirmait à son tour, en 2006, que « les prix élevés des maisons américaines reflétaient simplement une forte économie américaine ». Yellen et Powell ont poursuivi cette approche, s’engageant à mettre tout en œuvre pour maintenir la valeur des actifs. Malgré cela, les crises boursières ont quand même eu lieu, anéantissant plusieurs des promesses des banques centrales. Cette fois encore, inexorablement et malgré toutes les bonnes volontés de la FED, la bulle éclatera, en son temps.
Et pourtant, cette fois encore, on pense y échapper. Le mantra de 2020 : les taux excessivement bas et les interventions gouvernementales vont prévenir la chute des actifs pour toujours! Quelle illusion, déplore Grantham! Cela n’a pas empêché l’éclatement de la bulle en 2000. Rappelons que le NASDAQ avait alors plongé de 82% ! Nous revoilà à la case départ, 21 ans plus tard, en attente de la dernière danse, car éventuellement, la musique s’arrêtera. Comme le souligne l’auteur, les bulles boursières sont éloignées les unes des autres (elles surviennent en moyenne aux décennies), ce qui fait qu’on a tendance à les oublier au fil du temps. D’ailleurs beaucoup des gestionnaires sur le marché n’en ont même pas vécu une seule… De plus, elles montrent un visage différent à chaque fois, ce qui nous leurre à les reconnaître. Tout cela fait en sorte qu’on retombe à chaque fois dans le panneau.
Monsieur Grantham soulève un élément aussi étrange qu’inquiétant concernant la bulle actuelle. À l’opposé des précédentes bulles boursières, où la force économique était un des moteurs de la propulsion du marché, les conditions économiques actuelles sont loin d’être parfaites. Pourtant, les blessures économiques sont bien réelles. Au mieux, nous aurons un simple ralentissement économique, ou peut-être un nouveau creux économique. Mais une chose est sûre, nous avançons vers quelque chose de très incertain. « Comment se peut-il, questionne Grantham, que les marchés boursiers se transigent statistiquement au plus cher de leur histoire alors que les données économiques sont à leur plus bas historique ? », une situation sans précédents.
Bien que plusieurs puissent être d’accord sur la prémisse d’une bulle boursière en phase avancée, cela ne fait pas en sorte pour autant qu’ils éviteront sa débandade. Effectivement, la conviction du danger ne vient pas avec la connaissance du moment exact où il surviendra, et la bulle peut continuer de gonfler, même si elle est déjà excessive. Malgré l’impossibilité de prévoir le moment de l’éclatement d’une bulle, Grantham ose donner un échéancier. Selon lui, il serait très probable que la bulle ait éclaté au maximum à la fin du printemps ou au début de l’été de cette année, possiblement lorsque la pandémie perdra de la force et que les gens réaliseront que l’économie post-Covid est moins solide qu’anticipée. Il insiste toutefois sur le fait que cela pourrait aussi arriver à tout moment d’ici là. Le texte de Grantham critique la tendance des investisseurs à tenter de deviner le moment précis du sommet de la bulle. Selon lui, « exiger d’être en parfaite synchronicité avec l’éclatement de la bulle est irréalisable », dû au fait que celui-ci se produit généralement selon un scénario d’alternance entre des corrections rapides et sévères et des brusques remontées, rendant l’évaluation du momentum presque impossible. « Ceux qui tentent d’attraper le meilleur moment ne l’identifie jamais et finissent par glisser avec les autres.[…] Rappelez-vous que la volonté de synchroniser les bulles a une longue histoire de déceptions », prévient-il.
Cela implique que pour éviter l’éclatement de la bulle, il faut accepter de perdre des gains à court terme. Expérimenté en la question, Monsieur Grantham raconte qu’en 1987, il s’est retiré complètement des titres japonais, les jugeant sur-évalués à 40 fois les bénéfices, mais ces derniers ont continué de monter durant 3 ans, jusqu’à atteindre 65 fois les bénéfices! Malgré cela, le fait d’avoir évité la chute qui a suivi cette bulle et de pouvoir réinvestir au plus bas du marché a été gagnant au bout du compte. « Essayer de prendre une décision parfaite est utopique. Le succès de la stratégie vient du fait qu’à un moment ou à un autre, l’investisseur se retrouvera financièrement gagnant du fait d’avoir été hors marché, tout en ayant bénéficié d’une volatilité et d’un risque réduits ».
Jeremy Grantham considère que c’est un privilège, pour un gestionnaire de portefeuille, de vivre une bulle boursière : « Alors que des fortunes s’apprêtent à se faire et se défaire, les conseillers ont une chance unique de vraiment justifier leur travail ». Pourquoi alors, dans un tel contexte, si peu de gestionnaires conseillent de mettre les placements à l’abri du marché? L’auteur l’explique tout simplement : « Se positionner contre une bulle peut créer une occasion d’enrichissement, mais cela vient avec le risque de mettre sa carrière en jeu. », puisque des rendements inférieurs au marché à court terme sont presque garantis. Pour des entreprises de placement institutionnelles, le risque d’affaire est tout simplement trop élevé. « Pour eux, même si cela pourrait être profitable pour les clients en bout de ligne, c’est commercialement impensable », déplore Grantham. Aucune grande firme de placement n’a eu ce courage en 2000, car ce n’était pas « vendeur » de tenir ce discours.
De plus, rien n’est plus déstabilisant pour un investisseur que de manquer la fin de la fête de l’enrichissement. En effet, selon le vieux routier de la finance, le stade tardif de bulle est caractérisé par une accélération verticale de courte durée juste avant l’éclatement, qui suscite chez les investisseurs un effet de magnétisme extrêmement puissant. Essayer de convaincre un client de s’éloigner de cette spirale lucrative est un défi de taille pour un gestionnaire conscient des dangers de la bulle. En outre, la plupart des gens ne voient pas la bulle, et peuvent encore moins en évaluer l’ampleur. « Comment pourraient-ils distinguer si leur gestionnaire est prudent et stratégique ou s’il a simplement perdu la tête? » C’est pourquoi vous aurez toujours des conseils ou des opinions optimistes des grands joueurs du marché, même lors des bulles. Pour appuyer ses dires, Grantham raconte qu’en 1999, alors qu’il avait retiré les actions américaines des portefeuilles, certains clients l’accusaient de vouloir « délibérément et malicieusement les priver de faire des gains ». Selon lui, quand les investisseurs en viennent à faire des commentaires aussi irrationnels, c’est un signe indiquant l’imminence du point de cassure de la bulle…
Pour conclure, le billet de Jeremy Grantham est une invitation à voir la bulle actuelle comme l’opportunité financière d’une vie, non pas en étant pleinement investis sur les marchés, mais plutôt en s’en retirant, pour ensuite avoir la possibilité de réinvestir au bon moment (ce qui demande également un grand courage…). « Une chose que vous ne pourrez jamais changer, c’est qu’un actif acheté à un prix élevé donne un retour plus faible qu’un actif acheté à bas prix. Vous ne pouvez pas avoir le gâteau ET manger le gâteau », conclut-il.
Pour ceux qui souhaitent demeurer investis, Grantham recommande fortement de privilégier les titres valeur, qui sont à un taux de sous-estimation record, ainsi que les titres des marchés émergeants, eux-aussi sous-évalués par rapport à leurs équivalents américains, et d’éviter à tout prix les titres de croissance américains.
[1] Toutes les traductions de ce résumé sont des traductions libres.
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Cette information a été préparée par Pascal Charpentier qui est un conseiller en placements et gestionnaire de portefeuille pour iA Gestion privée de patrimoine inc. Les opinions exprimées dans le présent article sont celles du gestionnaire de portefeuille uniquement et ne reflètent pas nécessairement celles de iA Gestion privée de patrimoine inc. iA Gestion privée de patrimoine inc. est membre du Fonds canadien de protection des épargnants et de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières.