Malgré les succès incontestés de la méthode valeur, elle n’a jamais réussi à faire son chemin dans les départements universitaires de finance, à quelques exceptions près. Cela peut certainement expliquer en partie le fait qu’elle soit moins utilisée.
Lors d’un passage à l’Université de Columbia en 1987, Warren Buffett constate que son université n’utilise plus aucun texte de Benjamin Graham, son professeur du début des années 50. Les professeurs de finance ne parlent plus que de marchés efficients, de couvertures (hedging) et de Beta. L’écart de compréhension entre Warren Buffett et les universitaires est majeur. En effet, Buffett est convaincu que les marchés sont « inefficaces », c’est-à-dire qu’ils n’affichent pas toujours les prix justes pour les actions. De l’autre côté, les académiciens sont convaincus que les marchés sont « efficaces » et que le prix des actions reflète à tout moment toutes les informations disponibles sur toutes les compagnies. Selon ces derniers, il serait impossible de tirer parti d’erreurs ou d’opportunités et la notion d’aubaines est donc inexistante sur les marchés. Cette doctrine est devenue vénérée comme un sacrement dans toutes les universités américaines. Toute théorie opposée est tout simplement bannie. Un obscurantisme digne du Moyen-Âge ! Voyons un peu de quoi il s’agit.
À la fin des années 60, Paul Samuelson, prix Nobel en économie, approfondit la « théorie du marché efficient ». Selon lui, les marchés se rééquilibreraient constamment en éliminant instantanément les écarts qui pourraient créer des opportunités distinctes. La sélection de titres serait donc une perte de temps et n’amènerait aucune valeur ajoutée, puisque, selon cette théorie, il est impossible de « battre le marché ». L’ascendance de ce prix Nobel sur le milieu universitaire de la finance cristallise la primauté de cette théorie sur toute autre, en balayant du corpus académique l’approche valeur développée et enseignée par Benjamin Graham quelques décennies plus tôt.
Selon Roger Lowenstein, bien qu’il ne l’ait jamais crié haut et fort, Warren Buffett ne peut concevoir qu’on enseigne une approche qui croit que les prix des titres sont constamment justes et qu’ils reflètent toutes les informations disponibles. Cela présupposerait que les acteurs du marché seraient constamment rationnels et calmes, et que toutes leurs décisions seraient prises à la lumière de données fondamentales et sans influence émotive.
Devant le fait que certaines compagnies bougent plus rapidement que d’autres, les théoriciens du marché efficient font un lien direct entre la volatilité d’une position et son niveau de risque. Pour mesurer le risque, ils ont trouvé un coefficient, qu’ils ont appelé le « Beta ». La base du Beta est à 1, ce qui équivaut à un titre qui se comporterait exactement comme le marché du point de vue de la volatilité. Si vous avez un Beta de 1,5, cela implique que votre titre évoluera avec 50% de plus de volatilité que le marché en général, et sera donc considéré comme un titre plus risqué. Selon cette théorie, le niveau de risque d’un placement est donc directement relié à sa volatilité. Rappelons-nous que cette interprétation n’a rien à voir avec les fondements d’une compagnie. Par exemple, une compagnie à seulement 5 fois les bénéfices peut très bien avoir un Beta de 1,5 tandis qu’une compagnie à 30 fois les bénéfices peut avoir un Beta de seulement 1. Cette dernière compagnie serait donc considérée comme moins risquée que la première si l’on considère qu’elle a un Beta moindre.
À l’opposé, Buffett croit que le risque se calcule en fonction du prix payé par rapport à la qualité de la compagnie. Toutes choses étant égales par ailleurs, il préfère une compagnie à 5 fois les bénéfices avec un Beta élevé qu’une compagnie à 30 fois les bénéfices avec un petit Beta.
Au cours des années 70 et 80, le Beta devient la panacée pour les firmes de courtage, qui s’en servent comme d’un outil magique pour prendre des décisions d’investissement. Il est vrai que la gestion émotive des hauts et des bas du marché boursier constitue certainement le plus grand défi de l’investisseur moyen. Alors, une classification permettant (en théorie) de choisir un investissement avec plus ou moins de soubresauts selon notre tolérance a de quoi plaire ! Mais les différentes crises, dont la sévère correction de 1987, démontrent bientôt la très grande faiblesse de cette approche.
Buffett affirme que ce n’est pas parce qu’une action est plus volatile qu’elle est nécessairement plus risquée. En effet, une compagnie peut avoir une progression relativement stable durant un temps, suivie d’une chute drastique et imprévisible. Comme le dit Buffett, en parlant d’une compagnie dont le coefficient Beta vient d’augmenter suite à une correction majeure sur le titre : « Je ne comprends pas pourquoi il est plus risqué d’acheter un titre maintenant qu’il a 40 millions de valeur alors qu’il l’était moins à 80 millions ! »
Le principe même de l’investissement valeur repose sur le fait que moins vous payez cher pour une compagnie de qualité, plus vous êtes protégé de ce que vous ne savez pas, et moins votre investissement est risqué. Vous pouvez alors imaginer à quel point Buffett était découragé de constater que les académiciens de l’efficience du marché s’étaient emparés du département de finance, et que les étudiants finissants en maîtrise, destinés à devenir l’élite de Wall Street, pouvaient ne jamais avoir entendu parler de Benjamin Graham !
Ces nouveaux professionnels ont tranquillement envahi le secteur financier à partir des années 70-80, rendant l’investissement de plus en plus passif. La théorie de l’efficience du marché a eu comme conséquence qu’un nombre important de gestionnaires ont laissé tomber l’analyse des fondements des compagnies pour s’attarder à l’invention de produits dérivés (options, contrats à terme,…), cherchant à augmenter le rendement de leurs clients, en se basant toujours sur l’efficience du marché. Au lieu de faire des sélections individuelles d’entreprises, ils se sont mis à davantage transiger le marché au complet par le biais de produits dérivés et en inventant des nouveaux produits qui n’existaient pas jusqu’alors comme les papiers adossés à des subprime qui allait éventuellement mener à la pire crise financière de notre époque en 2007.
Pour Buffett, l’endoctrinement généralisé et persistant des professionnels du milieu à cette théorie a créé un contexte extraordinaire pour dénicher des aubaines sur plusieurs décennies. Les milliers de croyants dans l’efficience du marché lui ont servi sur un plateau d’argent de nombreuses opportunités d’investissement. Alors que les gestionnaires endoctrinés continuaient de croire mordicus qu’il était impossible de battre le marché, Warren Buffett continuait à étudier les fondements des compagnies. Et au cours de la période de 1976 à 1999, il a réussi à faire 180 fois plus de rendements que le Dow Jones ! 180 fois plus! Pour continuer à croire à cette théorie, il fallait vraiment avoir un entêtement dénué de bon sens, ou alors simplement ne pas connaître autre chose.
En 2015, lorsque j’ai fait des entrevues avec des finissants en finance, j’ai été abasourdi de constater qu’aucun des étudiants que j’ai rencontrés ne connaissait Benjamin Graham et que l’approche valeur ne leur avait pas été enseignée !
SUITE à venir…
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Cette information a été préparée par Pascal Charpentier qui est un conseiller en placements et gestionnaire de portefeuille pour l’Industrielle Alliance Valeurs mobilières inc. Les opinions exprimées dans le présent article sont celles du gestionnaire de portefeuille uniquement et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Industrielle Alliance Valeurs mobilières inc. Industrielle Alliance Valeurs mobilières inc. est membre du Fonds canadien de protection des épargnants et de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières.