Voici quelques histoires d’hyperinflation qui ont eu lieu au cours de l’Histoire (il y en a bien sûr de nombreuses autres…). Vous remarquerez rapidement que le scénario suit toujours les mêmes étapes, que vous retrouverez sous formes de chiffres entre parenthèses à l’intérieur des histoires :
Étape 1 : Problématique
Un pays fait face à une problématique qui nécessite des ressources financières majeures.
Étape 2 : Impression d’argent
On décide d’imprimer de l’argent, ce qui augmente la masse monétaire en circulation.
Étape 3 : Inflation
Une inflation importante sévit et la valeur de l’argent se désagrège.
Étape 4 : Vélocité et pénuries
Perdant confiance dans la force de la monnaie, la population se dépêche de transformer son argent en biens pour tenter de se protéger de la dévaluation, ce qui fait augmenter la vélocité de l’argent et cause des pénuries majeures.
Étape 5 : Hyperinflation
Lorsque le phénomène s’accentue, la sur-inflation se transforme en hyperinflation, une situation presque impossible à renverser, et qui sévit habituellement jusqu’à ce que la monnaie s’écroule complètement. On parle d’hyperinflation lorsque l’inflation atteint 100% par année et plus.
Étape 6 : Nouvelle monnaie
Il est alors nécessaire de créer une nouvelle monnaie. L’ancienne monnaie ne vaut plus rien, mais les biens (et métaux précieux…) peuvent être reconvertis dans la nouvelle monnaie.
Nous sommes actuellement à l’étape 3, voire 4. Serons-nous la prochaine triste histoire d’hyperinflation?
Histoire 1: Empire romain (3e siècle)
La Rome antique a un immense territoire à couvrir, ce qui demande des légions de soldats à payer, et l’empire n’a plus assez de pièces d’argent pour payer tout le monde (Étape 1). Progressivement, on coupe les pièces d’argent avec du cuivre et du bronze pour multiplier le nombre de dinars (Étape 2). S’en suit en réaction une inflation majeure (Étape 3), que l’empereur Dioclétien tente de contrôler en fixant le prix des biens. Cela conduit à un déclin de la production, devenue non rentable, nourrissant encore plus l’inflation et provoquant des pénuries et une crise sociale (Étape 4). L’empereur finit par abdiquer. Une situation d’hyperinflation (Étape 5) s’installe et va se poursuivre sur plusieurs décennies. La livre d’or, qui valait 50 000 deniers en 301, en valait 100 000 en 307, 300 000 en 324, et 2 milliards en 350. Cette crise monétaire affaiblira grandement l’empire romain et accélèrera sa chute.
Évolution de la teneur en argent dans la monnaie romaine, de l’an 1 à l’an 300
Histoire 2 : États-Unis (1775 à 1781)
Le 4 juillet 1776, les treize colonies se déclarent indépendantes de l’Angleterre. S’en suit une guerre entre la patrie et ses colonies. Le nouveau pays des États-Unis a besoin d’argent pour financer son armée (1) et décide d’imprimer un nouveau dollar papier, le « dollar continental » (2), qui n’est adossé sur aucun collatéral. La guerre s’étire et tandis que l’on accélère l’impression d’argent, le pouvoir d’achat s’érode, tout comme la confiance vis-à-vis du dollar continental (3). Dès 1781, l’inflation est devenue incontrôlable et plus personne n’accepte d’être payé avec cette monnaie, qui finit par s’écrouler complètement dans les années qui suivent (5). Ceux qui avaient accumulé cette monnaie se retrouvent ruinés. Pour rétablir la crédibilité du système monétaire étatique, le gouvernement est alors contraint de créer une nouvelle monnaie, le dollar américain (6), basé sur l’étalon or.
Un dollar continental
Histoire 3 : France (1789 à 1795)
Au moment de la révolution française, les finances publiques et l’économie de la France sont en crise. La misère et les inégalités sociales constitueront d’ailleurs les prémisses de la Révolution française. Dans le but de rétablir les finances publiques (1), le nouveau gouvernement révolutionnaire décide de confisquer les biens de l’Église, évalués à 3 milliards de livres, et monétise ces biens sous forme d’« assignats », une monnaie papier adossée aux biens ecclésiastiques, et qui représente une sorte de prévente des biens de l’Église. Les besoins de ce nouveau gouvernement étant grandissants, on décide de continuer à faire de l’impression d’assignats au-delà de la valeur des biens sous-jacents (2). En 1796, la valeur des assignats en circulation, qui avait été établi à 3 milliards de livres au début de programme, était rendu 45 milliards de livres!
L’effet immédiat de l’arrivée de cette nouvelle monnaie étatique est la diminution rapide de la quantité de l’ancienne monnaie dans la société, qui est toujours en fonction. En économie, c’est ce qu’on appelle la « loi de Gresham », qui veut que « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». En d’autres termes, lorsque deux monnaies se côtoient et que l’une est plus fragile que l’autre, les gens vont naturellement utiliser la plus fragile pour les achats et transactions, et conserver la plus solide. Ici, c’est la monnaie prérévolutionnaire, la « livre », faite d’or et d’argent, qui se retrouve rapidement cachée par tous ses détenteurs. Ce phénomène accentue encore plus le manque d’argent dans la nouvelle société postrévolutionnaire, forçant l’État à imprimer de plus en plus d’assignats. Les gens deviennent de plus en plus réfractaires à accepter cette monnaie. Le gouvernement révolutionnaire oblige alors tout le monde à l’accepter, sous peine de mort, et l’utilisation de la livre ou de tout métaux précieux devient interdite.
À partir de 1793, une inflation majeure sévit en France (3). Le gouvernement essaie de fixer les prix, ce qui se traduit par une baisse de production, ce qui déclenche des pénuries majeures (4), qui attisent encore davantage l’inflation, qui dégénère en hyperinflation en 1795 (5). Dès le début de l’année suivante, l’assignat est abandonné définitivement (6).
Un assignat
Histoire 4 : Allemagne (1914 à 1923)
Au début de la 1e guerre mondiale, afin de financer l’appareil militaire (1), l’Allemagne introduit le mark papier détaché de l’étalon or, lui permettant d’imprimer rapidement une grande quantité de marks (2). À la fin de la guerre, l’Allemagne, défaite, se fait imposer des réparations de guerre imposantes, l’obligeant à repartir la planche à billets. Résultat : de 1914 à 1922, le nombre de marks aura multiplié par 12 fois. Au départ, malgré un contexte de production baissière, l’Allemagne vit un boom financier dû à l’impression d’argent. Mais dès 1922, l’inflation vient anéantir le rêve financier de l’Allemagne (3). Plutôt que d’être payée en marks dévalués, la France débarque en Allemagne en janvier 1923 pour se payer elle-même en confisquant des produits de base. Les Allemands comprennent la gravité de la situation et se ruent pour convertir en biens leurs marks, dont la valeur s’effondre à vue d’œil au fur et à mesure que les produits se raréfient et que le gouvernement continue d’imprimer désespérément des billets pour rester à flots. L’accélération de la vélocité attise encore plus l’inflation (4), qui dégénère rapidement en hyperinflation. À l’automne 1923, en Allemagne, les prix augmentent de 20% par jour! Alors qu’il fallait 4 marks en 1914 pour acheter un dollar américain, il en fallait 4,2 trilliards en novembre 1923 (5). Au départ, le gouvernement allemand voit d’un bon œil cette inflation importante qui réduit également la valeur de sa dette écrasante, mais l’hyperinflation devient ensuite incontrôlable et dévastatrice. L’incapacité de prévoir les coûts pour les entreprises et de produire quoique ce soit de façon rentable, ainsi que l’impossibilité d’importer, plonge la population dans une grande misère, qui sera encore accentuée par le vendredi noir de 1927 et la crise de 1929. C’est cette détresse collective et la recherche d’un sauveur qui mènera Hitler au pouvoir. Et on connaît la suite de l’histoire… Pour ce qui est du mark, en 1924, il est finalement remplacé par une nouvelle monnaie, le Reichsmark, gagé sur l’or afin de rétablir la crédibilité de la monnaie (6). Les Allemands ont été marqués durant des décennies par cet épisode d’hyperinflation. D’ailleurs, en 1981, l’économiste allemand Karl Otto Pöhl disait de l’inflation : « L’inflation, c’est comme le dentifrice, une fois sorti du tube, on peut difficilement l’y remettre. Ainsi, il vaut mieux ne pas appuyer trop fort sur le tube. »
Histoire 5 : Chine (1937-1949)
En 1934, les Américains décident d’augmenter les quantités d’argent (métal précieux) de leurs réserves monétaires, ce qui met énormément de pression sur le prix des lingots d’argent, qui triple en quelques mois. Comme la monnaie chinoise, le yuan, est attachée à l’étalon argent, sa valeur triple instantanément elle aussi, amenant deux conséquences tragiques pour les Chinois : les exportations chutent, provoquant l’écroulement de l’économie chinoise, et la dette chinoise triple elle-aussi par rapport à la force économique de la Chine. Face à cette situation d’urgence, le gouvernement chinois décide de détacher sa monnaie de l’étalon argent et se met ensuite à imprimer massivement des yuans afin de faire baisser la valeur de sa monnaie, ce qui se produit effectivement. Or, en 1937, le Japon envahit en Chine et occupe une partie du pays. La Chine a désormais besoin d’argent pour se défendre (1). Elle continue d’imprimer de l’argent durant toute cette période (2) et entre dans une spirale inflationniste (3). Malgré le départ des Japonais, le pays est aux prises avec un conflit entre le gouvernement en place et le mouvement communiste de Mao Tsetung. En 1948, le yuan est complètement désintégré (5), alors que c’était une des monnaies les plus fortes au monde en 1932. La Banque populaire de Chine crée alors une nouvelle monnaie, qui sera dès 1951 la seule autorisée au pays (6). Tandis que les capitalistes chinois fuient à Taïwan, la population est ruinée et entre dans une période de misère qui se transformera en grande famine une décennie plus tard. Cette crise humanitaire importante contribuera à la victoire du communisme en 1949.
Histoire 6 : Venezuela (2014-…)
Avant 2014, le pays est très prospère grâce à l’exploitation de son pétrole. Hugo Chavez utilise les énormes profits de cette industrie pour faire des dépenses gouvernementales majeures qui profitent à la population. Or, le prix du pétrole s’écroule en 2014 (1), obligeant le gouvernement à compenser les déficits budgétaires par une mesure d’urgence : l’impression de nouveaux billets (2). Cette politique crée de l’inflation (3) et pour éviter qu’elle ne s’emballe, le gouvernement en vient à faire une politique de fixation des prix. Les entreprises, devenues non rentables, réagissent en réduisant drastiquement leur production, ce qui crée des pénuries et enflamme l’inflation (4). La situation tourne à l’hyperinflation à partir de 2018 (5). Aujourd’hui, le bolivar a perdu toute sa valeur. Ce qui coûtait 1 bolivar avant la crise de 2018 en coûtait 1 million en 2021. En octobre dernier, afin de faciliter les transactions, le gouvernement a créé un nouveau bolivar, échangeable contre 1 000 000 ancien bolivars, mais cela ne règle pas le problème d’inflation qui se continue de se poursuivre actuellement. Depuis quelques mois, au Sud-Est du Vénézuela, l’or a retrouvé sa fonction monétaire et on voit des prix d’épicerie ou d’hôtel affichés en grammes d’or!
Histoire 7 : Turquie (2018-…)
La Turquie accumule les déficits depuis 2003 (1). L’instabilité politique, accentuée depuis le coup d’État avorté de 2016, rend les investisseurs frileux, freinant d’autant le développement économique et les possibilités d’emprunt du gouvernement, qui n’a d’autre solution que de faire rouler la planche à billets et ainsi augmenter la masse monétaire en circulation (2). Une spirale inflationniste s’est installée dans les dernières années (3). Le président Erdogan prône une stratégie liberticide favorisant les exportations et se refuse à augmenter les taux d’intérêt au-delà de ce qu’ils sont actuellement, soit autour de 14%, un taux élevé mais encore insuffisant pour contenir l’inflation galopante. La lire turque perd de la valeur à vue d’œil et en décembre dernier, la hausse des prix à la consommation sur un an a atteint 36%, chiffre jugé conservateur par plusieurs. Dans ce contexte, les importations deviennent impossibles, provoquant des pénuries et un appauvrissement rapide de la population (4). À titre d’exemple, Apple a décidé de ne plus vendre ses produits en Turquie car elle ne veut pas être payée en lires turques, dont la valeur fond trop vite. Des millions de Turcs peinent désormais à se loger et à se nourrir, même au sein de la classe moyenne, et on voit s’accentuer le phénomène de la « fuite de cerveaux », c’est-à-dire l’émigration des jeunes diplômés. Si des actions concrètes ne sont pas posées rapidement, la situation risque de dégénérer en hyperinflation.
Histoire 8 : États-Unis (2009-…)
Depuis la crise de 2008 (1), le gouvernement américain a décidé de faire aller la planche à billets pour sauver l’économie, mais c’est surtout la crise de 2020 qui a accéléré le processus. De 2008 à 2022, la masse monétaire a multiplié par 15 fois aux États-Unis (2). Toute cette impression a permis la reprise des marchés financiers en 2009, ce qui a été considéré comme un miracle financier. Parallèlement, la hausse de la masse monétaire a créé une bulle financière et une bulle immobilière, qui n’ont pas encore éclaté. De façon totalement prévisible, on voit s’installer une inflation importante aux États-Unis, qui est passée depuis janvier dernier d’un taux sur un an de 1,4% à un taux de 7% (3). Pourtant, la production mondiale est en chute libre depuis la crise sanitaire, causant des pénuries dans tous les secteurs (4). La seule façon de contenir l’inflation serait de monter les taux d’intérêt plus haut que le taux d’inflation et réduire la masse monétaire, ce qui semble pour le moment pratiquement impossible. En effet, ces actions feraient éclater instantanément tant la finance que l’immobilier, ainsi que tous les montages financiers reposant sur la dette (gouvernementaux, corporatifs et personnels). La panique que cela occasionnerait nous replongerait sans doute à nouveau dans la mécanique d’impression monétaire, remettant encore plus de pression sur l’inflation. Nous sommes donc devant deux avenues tout aussi périlleuses : sauver la valeur de la monnaie, quitte à vivre une crise financière majeure, ou sauver la finance, quitte à laisser s’emballer l’inflation. À notre avis, c’est cette dernière option qui risque le plus de se produire.
En conclusion, comme l’illustrent ces exemples et bien d’autres, l’impression massive d’argent, bien qu’efficace à court terme pour sauver la finance et stimuler l’économie, est un jeu dangereux où l’inflation s’invite presque inévitablement. On croise alors les doigts pour qu’elle ne dégénère pas en hyperinflation…
Nous nous retrouvons actuellement exactement dans ce scénario, et il devient essentiel de rechercher à protéger nos avoirs contre le risque élevé de dévaluation.
Sources :
- Jacques Gravereau et Jacques Trauman « Les alchimistes de la confiance/Une histoire des crises monétaires »
- Le parisien.fr
- Journalacces.ca
- Archives.lesechos.fr
- Wikipedia
- Blog de John Henke, spécialiste de l’inflation
Cette information a été préparée par Pascal Charpentier qui est un conseiller en placement et gestionnaire de portefeuille pour iA Gestion privée de patrimoine inc. Les opinions exprimées dans le présent article sont celles du gestionnaire de portefeuille uniquement et ne reflètent pas nécessairement celles de iA Gestion privée de patrimoine inc. iA Gestion privée de patrimoine inc. est membre du Fonds canadien de protection des épargnants et de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières.
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