La montée drastique des taux directeurs pour lutter contre l’inflation transforme le paysage de la dette, et tous les acteurs de l’économie en pâtissent. Dans ce deuxième volet d’un dossier en trois parties, nous analysons l’impact de la hausse des taux d’intérêt, la santé du marché immobilier et l’évolution de l’inflation.
TAUX D’INTÉRÊTS, OBLIGATIONS ET SANTÉ DES ENTREPRISES
Comme vous le savez, les banques centrales ont donné un coup de barre important en montant les taux d’intérêts dans le but de contrer l’inflation galopante. Ils sont passés au Canada de 0,25% à 2,25% depuis le début de l’année. Cependant, la vitesse à laquelle les taux obligataires du marché sont montés depuis le 1er janvier reflète une véritable crise qui a lieu sur le marché de la dette. Durant la même période, les taux 1 ans sont passés de 0,7% à 3,8%. À l’international, les investisseurs avisés qui comprennent ce qui se passe se débarrassent de leurs obligations. Pendant deux ans, les banques centrales étaient là pour acheter tous ces vendeurs, mais depuis que la FED a débuté son programme de resserrement d’impression monétaire, ses outils sont plus limités pour pouvoir contenir les taux d’intérêts sur le marché obligataire. Résultat : le rendement des obligations à court terme a multiplié par 10 fois en une année, au grand dam des investisseurs qui détenaient des obligations à long terme. Les obligations à long terme se sont aussi écroulées, l’indexe FTSE TMX long ayant perdu presque 20% de valeur depuis le début de l’année! Au rythme actuel, rien ne semble arrêter la hausse des taux obligataires.
Même si la situation est dramatique pour les gouvernements qui doivent se financer à des taux d’intérêts plus élevés, elle est encore bien pire pour les sociétés avec un moins bon grade de solvabilité. Rappelons que les entreprises ne peuvent pas emprunter au même taux que le gouvernement. En fonction de leur cote de crédit, il y a un écart plus ou moins grand entre les obligations à rendement élevé (« junk bonds ») et les obligations gouvernementales (réputées les plus fiables). C’est ce que l’on appelle l’« écart de crédit ». Ce dernier ne cesse de s’agrandir depuis le début de l’année et il est à prévoir qu’au cours des prochains mois, on commence à voir des compagnies devoir faire face à des problèmes de solvabilité, et les faillites se multiplier. En effet, dans le contexte actuel, le marché commence à s’inquiéter et exige 6% de plus de rendement pour les obligations à rendement élevé que pour les obligations gouvernementales! Malgré la récession qui s’amorce, les banques centrales ont annoncé qu’elles allaient continuer leur plan de hausse de taux, ce qui fait que la moutarde commence à chauffer pour les entreprises, dont la plupart sont bâties sur une dette importante. La vitesse de changement est beaucoup trop rapide pour ces sociétés et l’ajustement en période de repli économique sera presque impossible pour plusieurs d’entre elles qui vont se retrouver en défaut les unes après les autres. De plus, cette situation crée une diminution d’accessibilité au crédit, ce qui aura un impact immédiat sur l’économie, qui va décroître et faire moins de millage avec son réservoir d’argent. Avec les chiffres spectaculaires d’inflation en Europe, je vois difficilement comment le phénomène pourrait revenir à une certaine normale à moins d’une nouvelle intervention des banques centrales. La pression restera forte sur les taux exigés sur les obligations, et plus ils monteront, plus la finance et l’économie souffriront.
ET LE MARCHÉ IMMOBILIER DANS TOUT ÇA?
Selon Nicholas Gerli, de Reventure Consulting, il y a un réel crash immobilier amorcé, mais la majorité des gens n’en ont pas encore pris conscience. Le marché immobilier, qui a tendance à s’emballer au début d’un cycle inflationniste et s’affaisser au fur et à mesure que les taux montent, a déjà commencé à ralentir et va continuer de perdre de la vigueur. Dû au fait que ce marché repose sur l’effet levier de la dette, l’impact de la hausse des taux est double : la valeur des biens chute, et les paiements mensuels augmentent! Bien que la situation soit inégale d’un secteur à l’autre, les prix des maisons ont corrigé en moyenne de 18,5% au Canada (Canadian Real Estate Association Data). Dans le marché immobilier, une telle correction a un énorme impact pour les propriétaires puisque cela correspond généralement au montant total investi lors de l’achat. Lors d’une telle perte de valeur, ils se retrouvent donc à devoir continuer de payer les intérêts sur une valeur qui n’existe plus, ce qui peut en placer plusieurs en situation d’insolvabilité. La tentation peut alors être forte pour certains de remettre les clés à la banque, chose qui est possible aux États-Unis, ou encore de faire une vente de feu avant que la situation de s’aggrave. D’ailleurs, Monsieur Gerli nous informe que le nombre de biens en vente sur le marché immobilier aux États-Unis a augmenté de 300 à 400% depuis un an. Quant au nombre de transactions immobilières, un élément clef selon le spécialiste, il a chuté de 20% depuis un an, toujours aux États-Unis.
Les compagnies immobilières sont vraiment dans l’eau chaude en ce moment et on commence à voir augmenter les liquidations à perte aux États-Unis. Ce qui est ironique, c’est que le nombre de chantiers de construction bat des records puisque les contrats ont souvent été signés il y a longtemps. Toutes ces nouvelles résidences viendront s’empiler sur les maisons existantes à vendre au moment même où le marché frappera un mur, sans parler de toutes les maisons secondaires présentement inhabitées, qui ont été achetées avec des objectifs de spéculation et qui se retrouveront elles aussi sur le marché. Chez les acheteurs, on voit un phénomène que Monsieur Gerli appelle le « Fear of missing out inversé », c’est-à-dire qu’ils retardent leur achat à un moment futur où les taux seront plus bas.
En ce qui concerne la hausse des paiements, selon la firme Redfin, aux États-Unis, le paiement mensuel médian d’une hypothèque est passé d’avril 2021 à avril 2022 de 1685 $ à 2349 $, une hausse de 39% qui pourrait bien expliquer pourquoi les Américains ont moins d’argent à dépenser (Forbes, 28 avril 22). Et depuis le mois d’avril, les taux ont encore monté…
Dans un contexte de hausse spectaculaire des taux, on pourrait s’attendre à ce que les épargnants optent pour des taux fixes, mais la quantité de Canadiens qui ont opté pour des taux variables cette année a battu des records historiques : en janvier 2022, 56,9% des hypothèques étaient structurées selon un taux variable, alors que moins d’un an avant, ce pourcentage était à 34%! (The Mortgage Group, 11 juillet 22) Il est important de rappeler que le taux variable d’une durée de 5 ans est passé en une année de 1,46% à 4,45%! (Statista, 13 avril 22; BMO, 29 août 22) Il semble que les banques aient favorisé les taux variables afin de se protéger elles-mêmes, plutôt que de protéger leurs clients… Tout cela a un impact négatif sur l’économie, car l’argent qui sert à payer de la dette n’ira plus dans l’économie (moins de dépenses, moins de profits pour les entreprises…).
VIENDRA-T-ON À BOUT DE L’INFLATION BIENTÔT?
Dans son discours de vendredi dernier, Jérôme Powell a affirmé que la FED allait continuer à hausser les taux d’intérêts jusqu’à ce que l’inflation soit revenue au niveau cible (entre 1 et 3%) L’inflation est passée en juillet de 8,1% à 7,6% sur 12 mois (9,1% à 8,5% aux États-Unis). Il semble que beaucoup de personnes aient pensé un peu naïvement que le problème inflationniste était maintenant résolu. Joe Biden a même dit dans un discours que l’inflation était maintenant à 0%! Il faisait allusion à l’inflation du mois de juillet, mais cela laissait croire que le problème inflationniste était réglé… C’est vraiment incroyable, comme bévue, mais cela reflète peut-être ce que certains pensent réellement. Attention, on a assisté à une baisse de la croissance de l’inflation, et non à une baisse des prix… Peut-on espérer que ce soit le début d’une baisse durable de l’inflation? Rappelons que le niveau d’inflation jugé sain est de 2% par année. On est bien loin du but! En Allemagne, l’inflation de production (le PPI, précurseur de l’Indice des prix à la consommation) est montée à 37% au cours du dernier mois, et la situation est dramatique dans plusieurs pays d’Europe. Puisque tous les pays sont reliés entre eux du fait des importations et exportations, on fait donc face à un problème inflationniste mondial.
Un petit rappel des règles de base : pour combattre l’inflation, il faut augmenter les taux d’intérêts au-dessus du chiffre d’inflation. Or, est-il possible d’imaginer, dans le contexte actuel de dette personnelle et mondiale record, que les taux d’intérêts puissent monter à 9%, ou même à 7%, sans penser créer un tsunami financier et économique jamais vu? C’est tout simplement impossible! Le système économique s’effondrerait complètement puisqu’il fonctionne avec des barèmes de taux excessivement bas depuis 15 ans. À mon avis, les banques centrales n’ont tout simplement pas les moyens d’éradiquer l’inflation comme elles le souhaiteraient.
JUSQU’OÙ MONTERONT LES TAUX?
La grande question est : jusqu’où la FED va laisser monter ses taux sur le marché obligataire sans intervenir? 5%? 6%? Il faut bien comprendre que nos gouvernements sont en ce moment dans une impasse : le seul remède qu’ils ont contre l’inflation (monter les taux d’intérêts) est un poison pour l’économie et la finance. Comme mentionné précédemment, les taux d’intérêts élevés tuent le pouvoir d’achat des individus et des compagnies, déclenchent des faillites et ruinent le marché financier.
Les gouvernements sont eux aussi affectés par la montée des taux. En effet, si les revenus fiscaux du pays ne sont plus assez importants pour payer les charges d’intérêts du gouvernement, on arrive à une situation où le gouvernement devient théoriquement insolvable. Par exemple, si les revenus fiscaux américains tombaient de 30%, ce qui n’est pas inhabituel durant une récession, et que les charges d’intérêts montaient à environ 7% (elles sont actuellement autour de 4%), on arriverait à un seuil où toutes les recettes fiscales serviraient uniquement à payer les charges d’intérêts!
Les banquiers centraux ont annoncé encore plusieurs autres cuillerées du remède/poison, mais pour toutes les raisons évoquées ici, ils risquent fortement de devoir arrêter la posologie avant d’avoir réussi à maîtriser le mal (l’inflation). Dans ce scénario, les banques centrales n’auront d’autre choix que de baisser à nouveau les taux et recommencer à acheter massivement sur le marché obligataire afin de stabiliser les marchés financiers et d’empêcher que les taux des obligations ne continuent de monter, cela à l’aide d’un nouveau programme d’impression monétaire, ce qui mettra encore plus de pression sur l’inflation. Retour à la case départ…
Depuis les dernières décennies, la confiance en la solidité de nos institutions (gouvernementales, bancaires…) est presque totale et la plupart des gens sont certains que nos dirigeants auront toujours le moyen de nous sortir des crises. Mais dans un cas comme celui-ci, la confiance populaire risque de faire un 180 degré. Ne voyant plus aucune issue pour se sortir de la spirale inflationniste, les gens se tourneront vers les forteresses traditionnelles de protection contre l’inflation, parmi lesquelles les métaux précieux jouent un rôle prédominant. Leur valeur pourrait alors exploser car, malheureusement, les quantités sur Terre sont limitées, ce qui n’est plus le cas de toutes les devises mondiales qui ont explosé de façon illimitée.
Dans le troisième volet de ce dossier, qui sera publié dans les prochains jours, j’explorerai avec vous plus en détails le rôle que peuvent tenir les métaux précieux dans un contexte comme celui que nous vivons. J’analyserai aussi le parcours récent du prix de l’or et de l’argent et vous partagerai des nouvelles données très éclairantes sur les métaux précieux.
N’hésitez pas à communiquer avec nous pour découvrir notre offre en placement. Il nous fera plaisir de vous aider à saisir des opportunités sur les marchés financiers.
Cette information a été préparée par Pascal Charpentier qui est un gestionnaire de portefeuille et conseiller en placements pour iA Gestion privée de patrimoine inc. et ne reflète pas nécessairement l’opinion de iA Gestion privée de patrimoine inc. L’information contenue dans le présent bulletin provient de sources jugées fiables, mais nous ne pouvons pas garantir son exactitude ni sa fiabilité. Les opinions exprimées sont fondées sur une analyse et une interprétation remontant à la date de publication et peuvent changer sans préavis. De plus, elles ne constituent ni une offre ni une sollicitation d’achat ou de vente des titres mentionnés. L’information contenue dans le présent document peut ne pas s’appliquer à tous les types d’investisseurs. Le conseiller en placements ne peut ouvrir des comptes que dans les provinces où il est inscrit.
iA Gestion privée de patrimoine inc. est membre du Fonds canadien de protection des épargnants et de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières. iA Gestion privée de patrimoine est une marque de commerce et un autre nom sous lequel iA Gestion privée de patrimoine inc. exerce ses activités.