La plupart d’entre vous ont probablement remarqué l’explosion du prix de la viande à l’épicerie. Bœuf et porc, même en spécial, restent à des prix très élevés. Plusieurs se tournent vers le poulet, dont le prix a également augmenté, mais de façon moindre. Ces augmentations substantielles amènent les consommateurs à se questionner sur les profits des compagnies. Augmentent-ils au même rythme que l’augmentation des prix? Je me suis intéressé à consulter les états financiers des deux plus grosses compagnies américaines productrices de viande pour répondre à cette question. Notez que le poulet représente environ le tiers de la production de Tyson alors que Pylgrim’s produit uniquement du poulet.
Des résultats financiers inquiétants
Alors que les ventes ont chuté depuis l’an dernier, ce sont les profits qui racontent une histoire : -157% pour Tyson et -83% pour Pilgrim’s! Il est évident que les producteurs sont incapables de refiler leurs coûts grandissants à leurs acheteurs.
Les surplus de stocks remplissent les congélateurs
Voici ce qu’une petite recherche nous apprend. Les consommateurs, soucieux de l’inflation, ont délaissé le bœuf et le porc pour se tourner davantage vers le poulet. Les entreprises ont alors planifié une augmentation de production de poulet. Or, les producteurs ont surévalué la demande et se sont retrouvés avec un surplus d’inventaire qu’ils ont dû vendre à rabais ou congeler.
À l’heure actuelle, les entreprises ont toujours d’importantes quantités de poulet stockées dans des congélateurs. Les inventaires américains de poitrines de poulet congelées étaient à un niveau record en août. Il faut se demander pourquoi une entreprise comme Tyson garderait des stocks congelés au lieu de les vendre au prix du marché. C’est probablement que la compagnie considère que le prix du poulet en ce moment ne reflète pas les coûts de sa production. En effet, les intrants, comme la moulée ou l’essence pour le transport, augmentent les coûts de façon exponentielle.
Les épiciers, de leur côté, ont été sommés par le gouvernement au début du mois d’établir un plan de gels des prix (voir article de La Presse). Il est vrai que dans la chaîne de production, les épiceries tiennent le gros bout du bâton avec les producteurs. Et ce sont elles qui s’en sont le mieux sorties jusqu’à maintenant avec l’inflation. Maintenant, on veut qu’elles fassent aussi leur effort de guerre, et c’est normal. Cependant, l’histoire nous enseigne que le phénomène de gels des prix peut aussi aboutir au résultat inverse si les producteurs, déficitaires, se mettent à réduire leur production et que l’offre diminue (voir notre publication Histoires d’hyperinflation). La problématique vient de l’autre bout de la chaîne: les matières premières. Tant que la valeur des matières premières va augmenter, il sera difficile de faire baisser les prix sustantiellement à l’autre bout de la chaîne.
Le poulet est-il trop cher?
Comme on peut le voir dans le graphique, le prix du poulet a beaucoup augmenté. Pourtant, à la lumière des résultats, il semble que les prix que l’on voit actuellement à l’épicerie, qui nous semblent chers, ne sont peut-être pas encore les vrais prix. Un prix juste devrait en effet refléter les charges réelles et permettre aux compagnies productrices de demeurer rentables. Devant le manque de rentabilité, n’importe quelle entreprise choisira logiquement de réduire la production. C’est le cas de Tyson Foods qui, pour réduire ses coûts, prévoit fermer 6 usines cette année, ce qui devrait peser encore une fois sur le portefeuille des consommateurs. En effet, lorsque l’offre diminue, les prix augmentent…
Ma prévision personnelle est que malgré le changement des habitudes de consommation et une hausse de demande pour les viandes moins chères, le prix de la viande va sûrement encore augmenter de façon significative. Et ce, malgré le plan de réduction des prix à l’épicerie initié par le gouvernement.
Les consommateurs de viande seront-ils fidèles?
Une hausse éventuelle des prix du poulet améliorerait-elle les bénéfices des principaux producteurs tels que Tyson et Pilgrim’s Pride? Pas nécessairement, car les consommateurs peinent à suivre les augmentations et sont prêts à changer leur panier d’épicerie pour y arriver. Pour l’instant, la consommation de poulet aux États-Unis devrait dépasser 100 livres par personne cette année pour la première fois de l’histoire, selon les données du département de l’agriculture américain. En revanche, la consommation de bœuf devrait atteindre son plus bas niveau depuis 2018 en raison de la diminution des stocks de bétail, tandis que la réduction des dépenses des consommateurs a fait chuter la consommation de porc au plus bas depuis 2015.
Malgré le mouvement des consommateurs vers le poulet, la demande demeure tout de même modérée. Les consommateurs délaissent possiblement les protéines animales au profit d’autres types de protéines, un phénomène qui pourrait s’accentuer si le prix de la viande augmente encore davantage.
En conclusion, la hausse du prix de la viande à l’épicerie pourrait nous faire croire que les producteurs font des profits mirobolants. Mais en réalité, ils perdent de l’argent car ils ne sont pas encore capables de transférer les coûts aux consommateurs. Nous sommes dans un cycle économique plus qu’incertain. Voici un bon conseil : au lieu d’investir dans des compagnies de production de viande, achetez plutôt du poulet et entreposez-le dans votre congélateur. En effet, s’il semble évident que le prix du poulet va exploser, rien n’est moins sûr pour les profits des compagnies.
Par Olivier Langlois-St-Laurent