Pascal Charpentier
taux d'intérêt

Lors des dernières semaines, nous avons assisté à de nouvelles baisses des taux directeurs. Que ce soit au Canada ou aux États-Unis, un phénomène inquiétant a pris forme, soit une dichotomie entre la direction du taux directeur et des taux d’intérêt sur les marchés à plus long terme.

Quand on parle de taux d’intérêt, plusieurs ont en tête le taux directeur dont il est souvent question dans les médias. Il faut cependant être en mesure de différencier ce taux à celui dicté par le marché.

Le taux directeur

C’est la banque centrale d’un pays (comme la Banque centrale européenne ou la Réserve fédérale américaine) qui fixe le taux directeur, aussi appelé taux cible du financement à un jour. Il correspond au taux auquel la banque centrale prête de l’argent aux banques commerciales à très court terme (généralement pour une nuit).

Les taux sur les marchés

Les taux d’intérêt sur les marchés financiers sont déterminés par l’offre et la demande pour les capitaux sur les marchés obligataires et interbancaires. Ils concernent des prêts entre banques ou des obligations émises par les États ou les entreprises. Leur terme peut s’étendre de quelques jours à 30 ans et plus.

taux d'intérêt

Les taux directeurs influencent les taux du marché, mais de manière indirecte. Par exemple, si la banque centrale augmente ses taux directeurs, les banques répercutent ce coût sur leurs clients, ce qui fait augmenter les taux du marché (comme les taux hypothécaires ou obligataires).

Cependant, les taux du marché intègrent aussi d’autres facteurs. Le risque de crédit, les anticipations d’inflation et les conditions globales de l’économie en sont quelques exemples.

En résumé, le taux directeur est un outil de politique monétaire, tandis que les taux d’intérêt sur les marchés reflètent la réalité financière et économique globale.

Pour approfondir cette distinction, veuillez vous référer à nos anciennes publications sur le sujet : Qu’est-ce qui dicte les taux d’intérêt? ET Les taux directeurs à la remorque

Anomalie en vue sur les taux d’intérêt

Revenons au phénomène observé actuellement : alors que la Réserve fédérale américaine abaisse ses taux, les taux observés sur les marchés montent.

Taux d’intérêt directeur USA

Source: Macrotrends

Taux d’intérêt des obligations gouvernementales 10 ans USA

taux bons du trésor États-Unis
Source: Macrotrends

Comme vous pouvez le voir dans le dernier graphique, les taux d’intérêt 10 ans américains sont en hausse. Et cette hausse a débuté avec les premières baisses du taux directeur en septembre. Le phénomène s’est déjà produit il y a environ 50 ans. À l’époque, les interventions de la FED étaient moins agressives qu’aujourd’hui. Les taux d’intérêt étaient également trois fois plus élevés qu’ils ne le sont actuellement.

En règle générale, lorsque la banque centrale abaisse ses taux, les taux d’intérêt sur les marchés suivent cette direction. D’ailleurs, il est fréquent que le marché obligataire anticipe ces mouvements. Cependant, bien que la Réserve fédérale ait abaissé ses taux à deux reprises depuis cet automne et qu’elle envisage de le faire encore dans les semaines à venir, le marché obligataire a pris une direction complètement opposée. Comment expliquer ce phénomène rare et inhabituel ?

Deux facteurs principaux se dégagent

Premièrement, il semble que les investisseurs ne souhaitent plus acheter des obligations à faible rendement, comme c’était le cas auparavant. Le contexte d’inflation des dernières années et la performance du marché des actions y sont pour beaucoup.

Deuxièmement, et c’est probablement le point le plus important, le marché manque tout simplement d’acheteurs. La dette américaine, dont la taille ne cesse de croître trimestre après trimestre, devient de plus en plus difficile à refinancer à mesure que les échéances, de plus en plus courtes, arrivent à leur terme. Par ailleurs, les principaux acheteurs traditionnels de cette dette, à savoir les Japonais et les Chinois, s’en détournent actuellement. Cela ne fait qu’aggraver la situation en réduisant la liquidité sur le marché de la plus grande dette souveraine au monde.

Pas d’éclaircies à l’horizon

Ce phénomène ne semble pas près de se résorber. En effet, les déficits continuent de s’accumuler à des niveaux records, ce qui alourdit encore davantage la dette. Le graphique qui suit saura vous en convaincre. Par conséquent, le problème actuel sur le marché obligataire ne fera que s’aggraver si la FED ne prend pas de mesures.

Dette américaine et PIB

Dette américaine et PIB

La FED cherche à réduire les taux pour permettre à l’économie de reprendre son souffle et, surtout, pour limiter les pertes inscrites dans les bilans des banques. Ces dernières sont confrontées à des portefeuilles de prêts à faibles taux, alors que les taux élevés actuels exercent sur elles une pression constante, comparable à une épée de Damoclès. De plus, la Réserve fédérale souhaite également venir en aide à un gouvernement surendetté qui doit faire face à des charges d’intérêt astronomiques contribuant à creuser les déficits, comme le démontre le graphique suivant. La FED est donc dans une impasse et ne pourra pas tolérer que les taux du marché demeurent élevés.

Charges d’intérêt sur la dette américaine

Charge d'intérêt dette américaine

Pour obliger le marché obligataire à s’aligner sur son taux directeur, la FED devra probablement répéter ce qu’elle a fait en 2020, en rachetant massivement les obligations américaines. En d’autres termes, elle devra compenser l’absence des acheteurs traditionnels sur le marché obligataire. Cette stratégie repose sur l’émission massive de nouvelles devises, un mécanisme à l’origine de l’inflation majeure observée récemment. Imaginez l’impact sur l’inflation si nos banques centrales relancent cette création monétaire!

Selon nous, le sauvetage du marché obligataire pourrait déclencher une nouvelle crise inflationniste, une véritable inflation 2.0. Mais cette fois, la confiance de la population ne serait probablement plus la même que lors de la première crise.


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