Atnaé Lussier
Bitcoin

En 1e partie, nous vous avons présenté quelques propos de Michael Saylor tirés de sa récente allocution sur le Bitcoin. Voici en 2e partie une conversation entre Pascal et Olivier en réaction aux arguments de Saylor.

“Preuve de travail”

Olivier – Saylor met de l’avant un atout important et puissant du Bitcoin qui est la « preuve de travail » . Des milliers d’ordinateurs appelés « nœuds » et répartis dans le monde entier forment le réseau qui lui permet de fonctionner. Ces nœuds jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement et la sécurité du réseau. Les nœuds stockent l’intégralité de la blockchain Bitcoin, vérifient les transactions et renforcent la sécurité du réseau. Ce qu’on appelle les « mineurs » sont des ordinateurs spécialisés qui résolvent des problèmes mathématiques complexes pour valider les transactions et sécuriser la blockchain. Des individus ou des organisations spécialisées détiennent ces ordinateurs puissants. L’électricité requise dans ce processus constitue l’actif sur lequel repose la sécurité de l’information.

Énergie

Pascal -La notion d’énergie pour produire les bitcoins semble en effet être un élément fondamental sur lequel s’appuie le Bitcoin. La consommation énergétique du Bitcoin a toutefois de quoi se questionner : actuellement, la preuve de travail du Bitcoin consomme annuellement autant d’énergie qu’un pays comme la Pologne, et augmente exponentiellement à chaque année, ce qui remet en cause sa viabilité à long terme. Des scientifiques estiment que l’empreinte hydrique du minage de bitcoins entre janvier 2020 et décembre 2021 équivalait à celle de 660 000 piscines olympiques. (Polytechnique insights). S’il est vrai qu’on peut considérer cet aspect comme une forme de barrière à l’entrée (la compétition s’installe plus difficilement dû à la lourdeur du réseau énergétique requis), le côté éthique revendiqué par les adeptes du Bitcoin est questionnable…

Olivier : Sur cet aspect, il y a une très grande similitude avec l’or, également vu comme un métal lié à l’énergie, c’est-à-dire dont la production nécessite beaucoup d’énergie.

Pascal : En effet. La grande différence entre l’or et le Bitcoin à ce niveau est que pour l’or, un produit fini physique découle de cette transformation d’énergie. Si l’énergie venait à manquer pour produire du nouvel or, l’or physique existant serait encore accessible. Pour le Bitcoin, l’énergie sert à la production, mais également aux transactions. Or, une seule transaction de bitcoin utilise autant d’énergie que 500 000 transactions sur VISA (The Bubble Bubble Report) Sans énergie, il n’y a plus de Bitcoin.

Décentralisation

Olivier : Une telle possibilité est grandement réduite par le fait que le réseau Bitcoin est réparti mondialement, avec des centres de minage majeurs en Amérique du Nord, en Europe, en Asie et en Amérique latine. La décentralisation du Bitcoin lui donne en effet une supériorité notable par rapport à d’autres actifs. Cette distribution assure sa résilience face aux pannes régionales ou à la censure. Le réseau Bitcoin est l’un des systèmes informatiques les plus vastes et sécurisés au monde, justement grâce à son déploiement décentralisé et à sa puissance de calcul collective.

Pascal : Malgré la répartition mondiale du réseau informatique dont Saylor fait l’éloge, si une panne d’électricité ou d’internet avait lieu sur un territoire important et pour une durée relativement longue, les détenteurs de bitcoins pourraient ne plus avoir accès à leur « wallet » pour un certain temps et se retrouver fortement ébranlés au niveau de leur confiance dans cette monnaie. Je serais curieux de tester la résilience du Bitcoin face à un tel scénario…

Olivier : La décentralisation a aussi l’avantage de rendre le Bitcoin difficile à manipuler. Sa robustesse repose sur l’engagement de milliers de participants indépendants. L’impossibilité de contrôler ou d’attaquer le réseau est une qualité recherchée par ceux qui veulent sortir d’un système monétaire étatique.

Indépendance

Olivier: Pour effectuer des changements sur le réseau, un système de vote est en place. Le système de vote de Bitcoin repose sur un consensus décentralisé impliquant les mineurs, les nœuds et les utilisateurs. Pour activer une mise à jour, cette dernière doit recevoir un soutien suffisant, souvent mesuré par un seuil de blocs minés signalant l’approbation. Cela garantit que les changements ne se produisent que lorsque la majorité de la communauté est d’accord, assurant la sécurité et la stabilité du réseau. Le fait qu’aucun gouvernement ne pourrait changer le réseau à son avantage est très intéressant.

Pascal : La volonté d’utiliser un système monétaire indépendant et en dehors du réseau officiel est une autre grande similitude entre les adeptes du Bitcoin et les adeptes d’or. Or, on assiste en ce moment à une tendance à institutionnaliser le Bitcoin. Les gouvernements de la planète possèdent déjà entre 2% et 3% de la réserve de bitcoins et la volonté actuelle est de concrétiser le BITCOIN Act afin d’ajouter de façon significative des bitcoins dans la réserve stratégique américaine, au même titre que le pétrole ou l’or (lesaffaires.com). Par ailleurs, la création récente d’un fond Bitcoin sur les marchés américains est un immense pas en arrière pour l’indépendance du Bitcoin. J’ai l’impression que le bateau gouvernemental est en train d’assaillir le bateau pirate du Bitcoin, et va bientôt s’approprier son drapeau et l’instrumentaliser à son avantage.

Rareté

Olivier : La principale qualité du Bitcoin reste son nombre maximal possible de 21 millions d’unités. Je ne rentrerai pas dans les détails déjà présentés de manière exhaustive, mais la rareté du Bitcoin sera la clef de son ascension.

Pascal : Tu as raison sur ce point. Encore une fois, je vois une certaine similitude avec l’or puisque dans le cas des métaux précieux, la production a une élasticité très faible, bien que supérieure à celle du Bitcoin (ouvrir une nouvelle mine prend environ 20 ans) La rareté peut faire exploser le prix lorsque la demande augmente sans que l’offre ne puisse y répondre.

Dans le cas des cryptomonnaies en général, toutefois, je constate qu’il y a une dizaine d’années, il existait seulement 7 cryptomonnaies alors qu’il y en a actuellement 1 300 qui sont actives, dont entre autres le Bitcoin, le Ripple, l’Ether, le Litecoin, le Nem et le Dash. Le nombre de bitcoins est certes limité à 21 millions, mais le nombre de cryptomonnaies différentes en circulation, lui, augmente sans cesse. Par ailleurs, même si la technologie de l’encryptage est certainement là pour rester, quelles seront les cryptomonnaies qui passeront le test du temps? On a créé plus de 20 000 cryptomonnaies depuis une quinzaine d’années, mais la grande majorité n’existe plus (AMF).

Évolution de la technologie

Pascal: Qui plus est, les technologies utilisées dans les cryptomonnaies évoluent à toute vitesse et qui dit que Bitcoin ne pourrait être remplacé par une cryptomonnaie plus avancée, plus rapide dans les transactions, ou encore moins énergivore? Ce ne serait pas la première fois qu’une technologie innovante se ferait remplacer par une autre encore plus performante… Pensez aux premiers téléphones intelligents Black Berry, qui étaient une révolution. Lorsque les Apple sont arrivés, plus performants, plus « design », Black Berry s’est démantelé en moins de deux. Selon moi, la cryptomonnaie qui sortira gagnante en sera une appuyée sur un actif solide tel que l’or.

Olivier : À mon avis, un des points négatifs du Bitcoin est la lenteur du réseau à effectuer les transactions. Les calculs requis deviennent de plus en plus difficiles à compléter avec le temps et empêchent le Bitcoin d’être un outil de transaction viable. Je le vois plus comme un gardien de valeur à long terme. De plus, la volatilité parfois extrême en fait aussi un outil peu valable dans une optique transactionnelle.

Volatilité

Pascal : En effet, sa volatilité actuelle reflète son immaturité et ressemble bien davantage à celle d’un titre spéculatif qu’à celle d’un étalon monétaire. Pour utiliser un actif comme un moyen d’échange, une certaine stabilité de cet actif est nécessaire. Or, si on examine la volatilité des rendements mensuels sur les 10 dernières années, le risque associé au Bitcoin est presque 6 fois supérieur à celui de l’or ou des actions (capital.fr). Et pour moi, c’est justement cette volatilité qui entre en contradiction avec un rôle de gardien de valeur.

Par ailleurs, on présente souvent le Bitcoin comme un actif résilient par rapport à l’inflation, mais sa volatité vient compromettre grandement la fiabilité de ce rôle antiinflationniste. Les fluctuations excessives du Bitcoin reposes sur le fait que cette technologie est encore très jeune et repose sur des spéculations futures, et donc, sur la confiance des investisseurs. Cependant, les assises de confiance ne peuvent pas être les mêmes après une quinzaine d’années de vie qu’après plus de 3000 ans pour l’or! Il y a encore du chemin à faire…

Un autre phénomène intéressant est de constater que le Bitcoin réagit de façon inverse aux soubresauts géopolitique, ayant tendance à chuter lorsque la situation devient plus intense. Sur ce point, il se comporte complètement à l’inverse des métaux précieux, qui eux, se présentent comme de véritables valeurs refuges, faisant rempart face à l’instabilité politique.

Rôles du Bitcoin

Olivier : Il n’en demeure pas moins que le Bitcoin attire de plus en plus d’investisseurs, à commencer par le gouvernement américain qui semble vouloir créer une réserve gouvernementale afin de tenter de stabiliser sa problématique majeure d’endettement avec les gains futurs du Bitcoin. Cela risque de faire encore monter les prix dans les prochains mois et années.

Pascal : On n’a pas créé le Bitcoin comme un outil de spéculation et de réserve de capitaux, mais bien comme un outil de transactions de pair à pair. La raison d’être de cette monnaie s’est complètement transgressée au fil du temps.  La situation du Bitcoin me fait penser à l’idée innovatrice de John Law en 1716, qui était de remplacer les métaux par des devises papiers éditées par le roi. Selon Law, cela allait pouvoir sortir la France de son marasme économique. On sait que les devises en papier sont devenues la norme au 19e siècle. Mais au départ, cette expérience humaine fabuleuse de 4 ans a enrichi… puis appauvri la France comme jamais auparavant.

Bien qu’étant une innovation prometteuse, les devises papier n’ont pas survécu au test de confiance qui a secoué le système lorsque quelques bailleurs de fonds majeurs se sont retirés du système. Il est très difficile de prédire une telle chose pour le Bitcoin, mais à mon avis, tant que celui-ci n’aura pas passé un test de confiance majeur, on ne pourra pas mesurer la profondeur de ses assises.

Bitcoin ou or?

Pascal: Même si l’or et le Bitcoin ont plusieurs points en communs au niveau de leur indépendance, de leur résilience face à l’inflation et de leur lien étroit avec l’énergie, on ne peut tout simplement pas comparer une commodité qui a 3000 ans d’histoire avec une autre qui en a moins de 15. En regardant l’or uniquement comme une matière, on perd de vue le fait que l’histoire de ce métal, autrefois associé à des propriétés mystiques, a bâti toute la puissance de ce métal, et cela ne se remplace aussi facilement.

Olivier : La communication écrite sur papier avait aussi un historique multimillénaire et l’arrivée d’internet a révolutionné le système de communication du tout au tout en quelques années…

Pascal : L’arrivée des cryptomonnaies est sans contredit une révolution technologique mais le parcours à venir du Bitcoin en particulier pourrait prendre toutes sortes de directions. Je pense qu’on n’a pas fini d’avoir des conversations comme celle-ci…


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