Olivier Langlois St-Laurent
bulle financière

Alan Greenspan a dit un jour au Congrès : « Les bulles sont généralement perceptibles seulement après coup. Déceler une bulle financière à l’avance nécessite de juger que des centaines de milliers d’investisseurs éclairés se trompent tous. » Si vous doutez de cette affirmation, dites-vous qu’il est tout aussi invraisemblable que quelqu’un puisse nier que nous sommes actuellement dans une bulle monumentale (voir notre article).

Cette bulle a un visage différent de celle de 1999, alors que les start-ups internet envahissaient le marché boursier avec de grandes promesses de croissance. Elle est aussi différente de celle de 2006, où le marché immobilier était en feu. La bulle financière actuelle est plus sournoise, mais pire. Sommes-nous réellement en mesure de répondre à des questions aussi simples que : quel devrait être le rendement réel d’une obligation du Trésor? ou quelle est la juste valeur du dollar américain? En réalité, ces deux marchés sont actuellement très mal évalués et leur éclatement aura des conséquences sociales profondes.

L’environnement spéculatif actuel a atteint une telle aberration que les investisseurs peuvent parfois faire 7 fois leur mise en une nuit sur une cryptomonnaie bidon. Mais nous soupçonnons que la cloche a déjà sonné pour ces absurdités financières. Voici deux éléments qui pourraient refroidir assez rapidement l’exaltation qui a caractérisé les marchés des dernières années.

Deux cloches sonnent la fin de la récréation

Tout d’abord, il y a la politique des taux d’intérêt de la Réserve fédérale. Après une double baisse des taux de 0,5% en septembre, suivie de deux autres baisses standard de 0,25%, les projections de la Fed pour les réductions à venir sont passées de 1 % prévu pour 2025 à seulement 0,5 %. Le problème est que, loin de revenir vers l’objectif de 2 %, l’IPC repart à la hausse : de 2,4 % par an en septembre à 2,6 % en octobre, puis à 2,7 % en novembre et 2,9 % en décembre. Jerome Powell a déclaré aux journalistes : « Nous allons être prudents concernant d’autres réductions. » Ce changement de ton est une douche froide pour le marché enthousiaste qui considérait désormais l’inflation comme un dossier classé.

Le deuxième élément concerne la réduction du bilan de la Fed et les besoins de refinancement de la dette américaine. Actuellement, Powell continue de réduire le bilan de la Fed de 20 milliards de dollars par semaine. Or, lors d’une réduction du bilan, la Fed arrête de réinvestir dans ses bons du Trésor qui viennent à maturité. Ces certificats de dette envahissent alors le marché obligataire, créant une pression énorme sur les taux. Depuis le début de 2023, le bilan de la Fed est passé de 8,7 billions à 6,8 billions de dollars. Cette politique de resserrement devrait normalement écraser systématiquement les marchés boursiers et les obligations.

Actifs de la FED

Stratégie sur les taux 10 ans qui souffle la bulle financière

Pourquoi alors les marchés demeurent-ils euphoriques ? C’est que depuis 2023, le Trésor effectue en quelque sorte son propre assouplissement quantitatif discret pour contrebalancer les actions de la Fed. En effet, durant cette période, le gouvernement américain a réduit considérablement le nombre d’émissions d’obligations 10 ans. Cela a fait augmenter leur prix sur les marchés et a maintenu leurs taux plus bas. On a plutôt décidé d’émettre une quantité massive d’obligations à court terme, ce qui a fait chuter le prix de celles-ci, augmentant leur taux d’intérêt.

Il est important de comprendre que les obligations 10 ans sont une référence dans les calculs d’évaluation d’actifs financiers comme les hypothèques, les actions etc… Un taux plus bas fait donc augmenter la valeur de tous ces actifs. Pourtant, cette situation est un mirage. Le secrétaire au Trésor Scott Bessent doit maintenant décider comment gérer le refinancement des 6,7 billions de dollars d’obligations court terme arrivant à échéance en 2025! Comme vous pouvez le constatez dans le graphique suivant, l’ampleur des dettes que l’on doit refinancer en 2025 constitue une véritable problématique.

Refinancement de la dette

La lune de miel créée par cette stratégie a été de courte durée, car depuis quelques mois, les taux 10 ans sont repartis à la hausse et peinent à redescendre. (voir notre article )

Récession ou inflation?

La Fed fait alors face à un véritable dilemme : doit-elle laisser les taux monter selon les vraies règles du marché, ce qui provoquerait une récession sévère? Ou alors doit-elle céder à la tentation d’imprimer massivement de l’argent pour faire baisser les taux et soutenir l’économie (et les fonds spéculatifs, les banques et le gouvernement), comme elle l’a fait en 2020, ce qui ferait repartir l’inflation?

Dans les deux cas, le marché des actions se retrouvera affecté, mais de façon différente. Alors que la 1e situation provoquerait un krach ressemblant à ceux que l’on a vécus jusqu’à maintenant, la 2e situation, en accord avec la politique du nouveau gouvernement, soutiendrait les marchés financiers, du moins en valeur nominale, mais serait en contre-partie un scénario suicide pour le dollar, manifesté par une perte de pouvoir d’achat. Cette situation agirait cependant comme un vent de dos pour le prix de l’or. D’ailleurs, la solide tendance haussière sur les métaux des derniers mois vient confirmer cette orientation.

Et l’or dans tout ça?

C’est la première fois que l’or fait une progression aussi forte et que le marché des actions n’a pas bougé. D’habitude, l’or et les compagnies minières d’or performent toujours mieux pendant les périodes de crises et non pendant une bulle financière. Alors que les investisseurs internationaux – et tout récemment américains – se tournent vers l’or, la prochaine correction pourrait avoir un nouveau visage : la valeur nominale des actifs pourrait demeurer stable, mais équivaloir à un krach au niveau de la valeur équivalente en or, et donc du pouvoir d’achat relié à ces actifs.

Alexander Pope a écrit à propos de l’éclatement de la bulle financière de la South Sea Company :
« La plupart des gens pensaient que le moment viendrait, mais personne ne s’y était préparé ; personne n’avait imaginé qu’il arriverait comme un voleur dans la nuit. … Ils ont rêvé leur rêve, et à leur réveil, ils n’avaient plus rien dans leurs mains. »


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